27 juin 2022

Dossier | Bien-être étudiants

Des chiffres qui interpellent, des actions qui rassurent

La dernière enquête santé de Sciences Po Bordeaux auprès des élèves de l’école confirme une tendance nationale : les fragilités psychologiques des étudiants ne s’améliorent pas deux ans après le début de la crise sanitaire. Une situation qui conforte l’institut dans son choix de faire du bien-être étudiant une priorité, concrétisée par un travail de fond et de nombreuses actions.

Les fragilités psychologiques des étudiants en France ne datent pas d’hier. Elles avaient été pointées du doigt dès 2010 dans une étude triennale réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante. Le phénomène a été corroboré depuis par des enquêtes et des sondages. Cette problématique a pris une nouvelle dimension avec la crise sanitaire, dont la presse s’était fait largement l’écho. Si le soufflet médiatique est retombé depuis, la situation après le dernier confinement ne semble pas s’améliorer, comme l’indique l’enquête santé des étudiants de Sciences Po Bordeaux de mars 2022. La précédente – la première du genre au sein de l’école - avait été effectuée en plein premier confinement. Analysés avec soin, ces résultats exigent une certaine prudence. D’abord parce qu’il s’agit d’une enquête déclarative – et donc subjective - sur la perception que les étudiants ont de leur santé. Ensuite parce que le taux de réponse représente 26% des étudiants. Pour autant, ce quota de 530 étudiants s’avère suffisamment significatif pour tirer des enseignements précieux et mesurer leur évolution.

Que nous dit l'enquête de Sciences Po Bordeaux sur la santé des étudiants de l'école ?

Premier point à rappeler : les étudiants de Sciences Po Bordeaux estiment majoritairement que leur santé est « bonne ou excellente » (57%). À l’inverse, 1% seulement la considère « mauvaise », 12% « fragile » et 30% « moyenne ». Néanmoins, de nombreux chiffres interpellent à juste raison la communauté pédagogique, notamment parce qu’ils sont en hausse par rapport à 2020. Ainsi, 52% disent se sentir « angoissés souvent voire en permanence » (+4%), 38% « dépassés souvent voire en permanence (+6%) » et 16% « seuls souvent voire en permanence » (+7%). Un dernier chiffre montre l’acuité de la situation : 17% des élèves qui ont répondu affirment avoir « souffert d’idées suicidaires » et ce, bien avant la chanson L’enfer de Stromae. Autant d’indicateurs qui expliquent la mobilisation de l’école. « Sciences Po Bordeaux se préoccupe de la santé physique et psychique de ses étudiants depuis des années. Il est indéniable que la crise sanitaire, et plus largement les tensions sociétales, ont poussé l’établissement à amplifier et à accélérer ses actions » explique Laetitia Hippeau. La jeune femme, psychologue du travail et de l’orientation, a intégré l’établissement en 2016. Elle est soutenue par une équipe au sein de laquelle on peut citer Floriane Reilhan, ingénieure prévention des risques et développement durable, et Christophe Prévot, chargé de la vie étudiante et associative. Mais ce sont bien tous les services internes en lien avec les étudiants qui sont mobilisés, de la scolarité au pôle carrière et partenariat. A l’image de la frise ci-dessous, une dizaine d’actions phares ont été mises en œuvre ces dernières années à travers un dispositif qui s’étoffe d’année en année et résumé dans le bilan Qualité de Vie au Travail (QVT) 2022 de l’école.

Lutter contre le déni et le silence

Ces mesures, directement ou indirectement, œuvrent à la mise en place de mécanismes de prévention, d’aide et de prise en charge en matière de santé et de sécurité pour les étudiants, mais aussi pour le personnel, qu’il soit enseignant ou administratif. Sachant que si certains étudiants expriment leurs souffrances, une partie reste dans le déni ou le silence. « Nous cherchons à décloisonner notre approche de la santé et faire en sorte que la mobilisation soit l’affaire de tous ». Illustration concrète au sein de l’établissement avec la mise en place de sessions d’information et de formation à destination des enseignants et agents administratifs en contact direct avec les étudiants et de certifications secouristes en santé mentale. « L’objectif est de les sensibiliser à la santé des étudiants et de leur donner des clés pour être en capacité d’être à l’écoute d’un(e) étudiant(e) en difficulté dans une logique de sentinelle, pour leur permettre de les accueillir avec bienveillance et les orienter avec précision » poursuit Laetitia Hippeau. Le besoin d’accompagnement, au sens psychologique du terme, est peut-être encore prégnant dans les grandes écoles où la charge mentale est souvent aiguë. « On sait que nos étudiants se mettent une pression parfois difficilement supportable en raison d’un éventuel échec scolaire. D’autres souffrent du complexe de l’imposteur ». Cette dernière observe en outre des problématiques différentes selon les années d’études, comme le démontre le schéma ci-dessous. Avec en outre l’apparition de phénomènes nouveaux. « Nous avons décelé des difficultés nouvelles chez les premières années suite à la Covid-19 qui étaient moins marquées chez les générations précédentes : procrastination exacerbée, difficulté d’organisation, fatigue permanente, anxiété… » confirme la psychologue de Sciences Po Bordeaux.

Aucune souffrance n'est taboue

Face à cette situation, la position de l’institut consiste à la fois à écouter toutes les souffrances dans une logique curative et, bien évidemment, à privilégier les actions préventives. 1088 entretiens santé ont été assurés depuis 2018 par la psychologue de Sciences Po Bordeaux et les prestataires psychologues. De gros efforts ont aussi été effectués dans le domaine des violences sexistes et sexuelles (VSS). Sous la houlette des chargées de mission égalité femme-homme, et notamment de Magali Della Sudda depuis septembre 2021, des actions concrètes ont été mises en œuvre et un gros travail de sensibilisation se déploie dans l’établissement, dont la mise en place de groupes de parole ou une formation VSS assurés auprès de tous les élèves primo-accédants depuis la rentrée 2021. Une plateforme de signalement propre à l’établissement verra par ailleurs le jour à la rentrée prochaine. Sachant que les volets « orientation professionnelle » (52%) et « échec scolaire » (48%) constituent les deux premières causes du mal-être des étudiants selon la dernière enquête santé, Sciences Po Bordeaux développe également des actions particulières dans ces domaines. Depuis quatre ans, des modules d’orientation auprès des étudiants volontaires en filières binationales sont organisés par petits groupes. Trois séances annuelles sont animées par du personnel de l’établissement pendant la 3e année d’études. Elles donnent l’occasion aux participants de réfléchir à leurs centres d’intérêt, de découvrir des métiers et de se projeter vers le master de leur choix de façon sereine et positive. Une initiative à rapprocher du Pôle Carrières & Partenariats qui organise de son côté des sessions de gestion du stress, sophrologie, sommeil et préparation aux examens. Si les difficultés financières arrivent parmi les derniers facteurs d’angoisse cités par les étudiants (12%), cela n’empêche pas l’école de prendre en compte cette difficulté avec son dispositif FAIRE d’aides financières.

Tendre vers le bien-être étudiant

Pour autant, comment peut-on gérer le mal-être étudiant quand celui-ci résulte de facteurs exogènes à l’institut ? « Nous ne pouvons pas agir directement sur cette source extérieure à l’école. En revanche, nous aidons les étudiants à avoir une autre lecture des événements, à faire preuve de discernement et à prendre conscience qu’ils peuvent agir sur leur perception des choses » souligne Laetitia Hippeau. À ce titre, Sciences po Bordeaux se mobilise pour tendre vers le bien-être des étudiants. Si aucune définition officielle n’existe pour qualifier ce terme, l’établissement intègre dans cette notion une dimension de satisfaction et d’épanouissement personnel qui dépasse les seuls critères de santé physique. L’idée est de donner aux étudiants les moyens de se sentir suffisamment bien et positif pour être en capacité de gérer les moments difficiles en agissant sur leur environnement. On citera à ce titre la mise en avant à chaque rentrée universitaire en septembre d’un « moi (s) de l’intégration » qui permet à chaque étudiant de découvrir toutes les associations de l’école et de nouer très vite du lien avec ses pairs. Créer du lien, c’est aussi le rôle des étudiants relais santé de l’Espace santé étudiant qui assurent une mission précieuse d’information, de sensibilisation et d’orientation avec les professionnels du soin. Lisa Ovsepian, élève de Sciences Po Bordeaux et ERS, nous explique ci-dessous concrètement sa mission.

Interview

« Créer du lien entre les étudiants et les professionnels de santé »

Lisa Ovsepian, élève à Sciences Po Bordeaux en 4e année GEA, est étudiante relais Santé (ERS) de l’Espace santé étudiant. Elle nous explique son rôle et les raisons de son engagement auprès d’autres étudiants.

Vous êtes Étudiante Relais Santé. De quoi s’agit-il ?

L’Espace santé étudiants développe une démarche d’éducation par les pairs en recrutant chaque année des étudiants relais santé (ERS) pour impulser et mettre en œuvre des projets de promotion de la santé. Cette collaboration entre ces étudiants et les professionnels de l’Espace santé étudiants permet tout au long de l’année de proposer des actions de formation, des ateliers, des projets innovants et des campagnes pour les étudiants et les associations autour de trois thématiques distinctes : soirées ; sexualité & consentement ; bien-être et santé mentale.

Plus concrètement, quel est votre rôle ?

C’est un rôle d’intermédiaire entre les professionnels de l’Espace santé et les étudiants, et réciproquement. Dans le sens « descendant », je transmets des informations de cet espace aux populations étudiantes des différents campus de l’Université pour le faire connaître et reconnaître. Dans le sens « montant », je fais part de remarques ou de problématiques des étudiants dont l’Espace va se nourrir pour tenter d’y répondre. L’idée est de créer du lien, soit de manière formelle à travers des actions ou des évènements, soit de manière plus informelle, à travers des échanges permanents avec les étudiants. Les ERS sont des "experts de la vie étudiante" et ils aident à monter des projets qui correspondent à cette génération à travers un travail collectif.

Quels sont les principaux messages que vous portez auprès des étudiants ?

J’informe tout d’abord les étudiants sur les atouts de l’Espace santé. J’en vois trois principaux. Le premier porte l’absence totale d’avance de frais. Il suffit de venir avec sa carte d’étudiants et sa carte Vitale pour se faire soigner sans rien débourser. Le second porte sur l’amplitude de l’offre de soin qui s’avère très complète : infirmières, médecins générales et spécialisés, psychologues, diététicienne… Le troisième concerne la proximité de cet Espace santé situé au cœur du campus, juste à côté de Sciences Po Bordeaux. J’insiste en plus sur le profil du personnel soignant, bienveillant et rassurant, qui connaît parfaitement les étudiants et leurs conditions de vie.

Pourquoi vous êtes-vous personnellement engagée dans cette mission ?

J’effectue cette mission dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée de 110 heures dans l’année. Même si cela représente un petit revenu, ma première motivation n’est pas liée à l’aspect pécuniaire. De plus, je n’avais aucun lien ni expérience de la santé avant de commencer. Je considère en revanche que la santé concerne tout le monde et que c’était intéressant à mon niveau de chercher à créer du lien entre les étudiants et les professionnels de santé. J’interviens pour ce qui me concerne sur la thématique du bien-être et de la santé mentale, un sujet d’actualité qui me tient à cœur.

Justement, au regard de votre expérience, quelles sont les difficultés à surmonter pour lutter contre le mal-être étudiant ?

Sur le plan matériel, il n’y a pas suffisamment de psychologues et éventuellement de psychiatres au regard de la demande qui a vraiment explosé ces dernières années. Le phénomène est antérieur à la crise sanitaire, qui l’a amplifié. Mais ce n’est pas qu’une question de moyen. Il faut bien comprendre qu’on ne décide pas d’aller voir un psy du jour au lendemain. Ce qui nécessite un accompagnement qui prend forcément du temps, notamment pour faire sauter certains blocages. Je m’efforce, à chaque fois que je le peux, de dédramatiser, de déculpabiliser et de légitimer le besoin d’assistance d’ordre psychologique d’étudiant(e)s.

Comment « aider » justement un (e) étudiant (e) qui semble souffrir sur le plan mental mais qui n’en as pas conscience ou qui est dans le déni ?

Il peut être difficile effectivement pour des étudiants de prendre conscience « qu’ils ne vont pas bien » ou se trouver de fausses bonnes excuses pour laisser faire : « ça va aller mieux », « il y a pire que moi », « ce n’est pas si grave », etc. Dans ce cas, il est important aussi de sensibiliser les cercles sociaux à une forme de vigilance lorsqu’un (e) ami (e) montre des signes de mal-être : tentation de s’isoler, troubles de la nutrition, différences notables d’attitudes et comportements… Dans ce cas, il faut garder le contact, dialoguer et inciter à faire le premier pas vers un médecin généraliste qui sera la porte d’entrée vers une solution thérapeutique.